
La notion de projet individualisé
Dans le secteur médico-social, le terme de projet individuel apparaît en 1989 dans la rénovation des annexes XXIV, qui encadrent le fonctionnement des établissements.
Avec ces nouvelles annexes XXIV on passe d’une logique centrée sur les établissements à une logique centrée sur l’individu, et c’est donc là qu’apparaît la notion de projet. Ces annexes stipulent : « Un projet pédagogique, éducatif et thérapeutique d’établissement précise les objectifs et les moyens mis en œuvre pour assurer cette prise en charge », et l’article 3 : « La famille doit être associée autant que possible à l’élaboration du projet individuel, pédagogique, éducatif et thérapeutique, à sa mise en œuvre, à son suivi régulier et à son évaluation ».
Comme le dit Philippe CHAVAROCHE dans son livre « Le projet individuel » Pages 12 et 13 : « Il s’agit alors de corriger la prédominance de la logique d’établissement sur le sujet singulier […] une personne placée ne peut se réduire à un prix de journée ou à un lit […]»
Loi du 2 janvier 2002
C’est la loi 2002.2 rénovant l'action sociale qui imposera aux établissements et services sociaux et médico-sociaux la conclusion d’un contrat de séjour ou d’un document individuel de prise en charge entre l’usager et l’établissement (article L. 311-4 alinéa b du code de l’action sociale et des familles).
Ce contrat devra définir les objectifs de la prise en charge et les moyens mis en œuvre pour les atteindre. Il devra être élaboré avec la participation de la personne accueillie ou de son représentant légal. Cependant, pour la personne accueillie, participer à l’élaboration de son projet est un droit non une obligation.
Le projet individualisé objet du travail commun de l’usager et du travailleur social
Jacques DANANCIER dans son ouvrage « le projet individualisé dans l’accompagnement éducatif [1]» pense que l’idée de performance est toujours sous-jacente au projet et vient heurter le sentiment éthique des travailleurs sociaux attachés aux valeurs de bien-être et d’épanouissement des personnes. Le projet reste marqué par des mots comme « gestion », « rationalisation », « organisation », qui s’opposent aux finalités d’un accompagnement éducatif, qui lui, s’attache à faire émerger une parole, un sujet.
Le projet atteste d’une capacité intellectuelle et psychologique et valorise un individu actif. Cependant, l’éducateur doit prendre en compte les capacités de la personne à participer à l’élaboration de son projet, et l’accompagner dans cette démarche : « Le projet individualisé est l’objet du travail commun de l’usager et du travailleur social construit sur le parcours de l’usager. »
Projet individualisé et projet singulier
Robert DAUJAM et Alain ROUCOULES dans leur contribution au n° 45 de la revue EMPAN « l’inédit du projet[2] », différencient le projet individualisé du projet singulier.
Le projet individualisé se décline à partir d’un projet d’établissement qui identifie les services que rend un établissement à des individus. Le projet individualisé s’élabore à travers des objectifs à atteindre, se fixe au moyen de protocoles, se formalise en contrat et évaluation. Il introduit un rapport rationnel au temps : c’est le temps technicien de l’efficacité.
Le projet singulier, lui, tend à faire émerger la singularité de la personne. Il se conçoit à partir des butées du sujet sur les réalités de ses inscriptions sociales et sur les projections imaginaires de son désir. Teinté d’incertitude, de tâtonnements, de doute, le projet singulier occasionne « embardées, abattées et autres discontinuités ou ruptures. »
Mise en œuvre du projet personnalisé
Recueil des données
Rassembler les informations sur la situation de la personne.
Faits marquants, que s’est-il passé dans la vie de la personne (cahier de liaison, journal des évènements)?
Habitudes de vie : que fait la personne ? Troubles du sommeil ? Solitaire ? Sociable ? Nourriture ? Santé ? Hygiène ?
Différents rapports émanant d’autres établissements, ESAT, IME etc.
Données venant des différents professionnels (Médecin, Kiné, orthophoniste, animateurs, veilleur de nuit, etc.)
Histoire et parcours de la personne.
Réunion de projet. Retour en équipe pluridisciplinaire
Pratiquement, la réunion de projet doit donner lieu à l’élaboration d’un document où les objectifs sont clairement définis.
Il est un aspect qu’il est important d’éclaircir également, c’est la nature des objectifs. Car il existe des objectifs dont les moyens seront mis en œuvre par la personne elle-même et d’autres par l’équipe des professionnels. Bien souvent les projets personnalisés sont en réalité des projets pour les professionnels. Finalement dans ce genre de projet la personne s’efface derrière l’équipe des professionnels.
Les objectifs du projet ne sont pas gravés dans le marbre et la personne n’est pas dans l’obligation absolue de s’y plier. Le projet personnalisé ne peut pas être imposé car il est le fruit d’un échange, d’une rencontre avec la personne et que tout le travail fait avec elle en amont lui a permis de se l’approprier et de s’y engager. Selon nous, dire que la personne doit se soumettre à son projet est un non-sens absolu.
Un projet est fait pour se transformer. Un projet peut vivre et devenir caduque quand les buts qu’il visait ont été atteints. Un projet s’évalue.
Validation des objectifs et des moyens par la personne et/ou sa famille, son représentant légal
Les axes de projet proposés par l’équipe pluridisciplinaires sont présentés à la personne et/ou à sa famille ou tuteur pour qu’ils puissent donner son avis. Si cela lui convient, elle validera le projet.
Mettre en œuvre le projet
La difficulté quand le projet est fait est de ne pas l’oublier.
Il y a un engagement de la personne.
Selon Gilles Brandibas et Matthieu Eleta, il y a un engagement éthique (la parole donnée) de l’équipe.
En psychologie sociale, l’engagement fait l’objet d’une théorie et désigne le lien qui existe entre une personne et ses actes. Ce lien peut être plus ou moins ténu selon que l’acte est public ou privé, répétitif ou isolé, irréversible ou pas, coûteux pour la personne ou non, consenti librement ou pas.
Évaluations du projet personnalisé
Évaluer c’est donner une valeur à quelque chose. Dans le cadre d’un projet, l’évaluation permet de se rendre compte de ce qui a marché ou pas, de questionner la pertinence de ce qui a été mis en place, de réorienter ses axes, de trouver de nouveaux objectifs.
L’évaluation consiste à mesurer l’écart entre les objectifs formulés dans le projet et les changements produits par sa mise en œuvre. Selon la loi, le projet doit être évalué chaque année. Cela est rarement possible si l’évaluation demande la réunion de toute l’équipe pluridisciplinaire. Comment et selon quels critères, déterminer un rythme d’évaluation des projets ? Chaque projet est unique et sa temporalité singulière. Des objectifs seront atteints en quelques mois, pour d’autres il faudra des années. Pour certaines personnes ce ne sera même pas une question de temps ni d’objectifs, car raisonner par projet ne convient pas à tout le monde et être dans l’obligation de se projeter peut être angoissant, voire impossible.
L’évaluation peut se faire d’une manière beaucoup plus souple, entre la personne, l’éducateur référent et le coordinateur. Si le projet est bien composé, c’est-à-dire qu’objectifs, moyens et critères d’évaluation sont déclinés clairement, l’évaluation sera aisée et rapide et de nouveaux objectifs pourront être définis en cours de route.
La mise en forme du projet doit permettre une évaluation efficace et pertinente. Pour qu’il en soit ainsi, à chaque objectif doit correspondre un ou plusieurs moyens et un ou plusieurs critères d’évaluation. Cela implique de ne pas confondre les objectifs et les moyens, et de ne pas multiplier les objectifs sous peine d’élaborer un projet tentaculaire dont on ne pourra jamais interroger la pertinence. Le projet ne peut pas intégrer toutes les dimensions de la personne, il se focalise sur quelques aspects seulement. Dans cette perspective, plus de trois objectifs nous semblent difficilement envisageables.
[1] Danancier J. (1999, 2004). le projet individualisé dans l’accompagnement éducatif, Erès.
[2] Collectif (2002). L’inédit du projet, Ramonville-Saint-Agne, revue Empan Erès.
[3] Fougeyrollas. 2011. La funambule, le fil et la toile : Transformations réciproques du sens du handicap. Presses Université Laval.
[4] Perron R. (2004). L’intelligence de l’enfant et ses troubles, Paris, Dunod, pages 138-139.
[5] Wood P.H.(1980). « Comment mesurer les conséquences de la maladie : la classification internationale des infirmités, incapacités, handicaps », chronique OMS, pages 34 et 400-405.
[6] Brandibas Gilles, Eleta Matthieu. 2014. Le projet personnalisé dans l’action sociale et médico-sociale. Conception, démarche clinique. Paris. L’Harmattan. 187 pages.
[7] Ibid, page 120.
[8] Ibid, page 121
[9] ANESM. Décembre 2008. Les attentes de la personne et le projet personnalisé.
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